La Crise de la Parole

La Crise de la Parole



  L’élection de Trump, tout comme le vote pour le Brexit, sont symptomatiques d’un sentiment grandissant d’une partie de la population de pays démocratiques, celui de l’impuissance. Cette impuissance, c’est celle d’une population diversifiée dont la voix n’est plus qu’un écho lointain. Qu’il s’agisse de la voix des agriculteurs, de celle des habitants de banlieue, ou celle des étudiants, leur parole ne se diffuse que très peu ou bien est-elle divulguée de manière peu avantageuse. Ce qui est paradoxal aujourd’hui, c’est que la plupart des politiques prétendent à définir l’identité nationale, celle la même qui conduit chaque individu appartenant à la nation à se construire autour d’une identité commune. Or le principe même d’identité nationale découle d’un débat entre tous ses acteurs et pas d’une partie ciblée de la population. En ce sens, il est aberrant de prétendre à l'élaboration d’un projet commun si l’on ne cherche pas à investir un tel débat. Alors pourquoi ce débat constitutif d’un projet national est difficile à se mettre en place ?


Tout d’abord, la question de l’éducation est proéminente dans cette réflexion. Il est évident que les origines sociales sont essentielles dans la formation de la parole chez l’individu. Néanmoins l’éducation nationale, dont l’un des objectifs est de combler ces inégalités sociales, se doit d’offrir à chaque élève les capacités nécessaires à la prise de parole en public. Or le contexte éducatif actuel tarde à permettre cet épanouissement ; les classes surchargées, le peu de considération de l’esprit critique avant le supérieur, le manque d’un enseignement rhétorique en sont une partie des causes. On constate néanmoins une avancée considérable avec l’apparition de l’éducation morale et civique, mais ce n’est pas suffisant, le projet d’apprentissage de prise de parole doit être inhérent au système éducatif. Cela pour plusieurs raisons ; premièrement l’individu qui prend confiance en sa parole devient plus sûr de lui, il est de ce fait moins manipulable, deuxièmement une parole raisonnée permet une réflexion plus organisée et efficace, enfin la maîtrise de la parole construit l’avis politique et la vision personnelle ce qui amène à une confrontation réfléchie aux autres discours. Le rôle de l’éducation est donc primordial et l’une des causes de cette crise de la parole.

La parole passe aujourd’hui par un prisme caractéristique de notre société actuel, les médias. Ce qui pose problème, c’est le manque de recul du discours médiatique, et plus particulièrement de ce que l’on appelle l’infotainment. Le journalisme se définit lui même comme étant l’observation critique et objective de faits. Malgré cela ces médias télévisés ne diffusent essentiellement que des informations bruts, sans recul critique, agrémentées d’avis d’experts récurrents qui phagocytent le débat. Il suffit pour cela d’examiner le traitement médiatique des précédents attentats, ou bien la résurgence de débats idéologiques stériles tels que l’ont été le burkini, ou la déchéance de nationalité. Bien entendu la source de ces débats est l’oeuvre de politiques, pour autant est il justifié de cristalliser les tensions par une telle surmédiatisation ? Par le pouvoir qu’opère ces médias sur nos consciences ils obstruent le débat public en s’insinuant dans nos conversations et stérilisent le débat. Cette omniprésence est donc problématique pour l’établissement d’un débat raisonné et critique, les médias de l’infotainment sont donc eux aussi cause de cette crise.

Enfin nous le disions auparavant, la démagogie s’installe progressivement dans le paysage politique et l’essor des extrêmes en est représentatif. La démagogie consistant en l’adaptation du discours au public visé, afin de se calquer à la pensée de celui-ci. Le problème étant que la pensée de certains groupes relève davantage du préjugé, alimenté lui-même par le discours de certains médias. En témoigne le lapsus particulièrement révélateur de Jean-Pierre Perrault au journal de TF1 à propos de l’idée selon laquelle « les mesures prises en faveur des migrants provoquent la perte de soins aux SDF français », ce discours qui relève purement de l’amalgame et de la simplification est depuis des années le fond de commerce de certains partis d’extrême droite. L’essor de cette technique manipulatrice du discours est donc nocive au débat puisqu’elle n’ouvre pas à la réflexion, mais bien à la fortification des préjugés.

Alors comment réinventer cette confrontation de discours sensés et pluriels au sein de la société ? 
Aujourd’hui cette parole est accaparée par les représentants politiques, ce qui est nécessaire au regard de la taille du territoire national mais ceux-ci ne se contentent plus d’être des porte paroles mais sont devenus les diffuseurs d’un discours personnel ou partisan, et donc non représentatif des nuances du débat public. L’enjeu de notre époque, si l’on aspire à une démocratie plus concrète, sera de trouver les solutions à l’établissement du débat citoyen et public, ce afin de surpasser cette crise de la parole. Il s’agira non seulement de réinventer les méthodes éducatives, la vision politique de la représentativité mais aussi de penser à l’atout fantastique que représente le numérique dans nos sociétés. 

Guillaume Buttin

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