France-Fantôme de Tiphaine Raffier : Entre mémoire et perte d'identité

Tiphaine Raffier est une ancienne élève de l'Ecole du Nord. Cette semaine, elle revient au  Théâtre du Nord, non plus pour apprendre mais pour nous faire découvrir sa pièce magistrale. France-Fantôme est un OVNI du théâtre. Mélangeant science-fiction et dystopie, Tiphaine Raffier réalise l'exploit de mettre en scène une pièce complexe qu'elle a elle-même écrite. Elle nous interroge alors sur notre rapport à l'image et à la mémoire dans un futur hypothétique effrayant.

Photo de Simon Gosselin, Théâtre du Nord
France-Fantôme dévoile un univers dystopique dans la France du XXIIème siècle. Les souvenirs peuvent se décharger dans d'imposants boîtiers gris accrochés aux murs, des « démémoriels », et sont rémunérés. Les visages sont effacés des enregistrements vidéos ou des photographies. Par dessus tout, les humains sont devenus immortels. En effet, les décors apparents, comme ceux d'un plateau de cinéma, une cuisine puis une salle grise peu agréable, voient se dérouler la tragédie de la vie de Véronique et de Sam. Sam meurt. Véronique se retrouve seule. Sam revient à la vie dans le corps d'un autre. Ses souvenirs ont en effet été transférés dans un autre corps. C'est de cette façon que les humains sont immortels. Sam est alors « un rappelé ». Bienvenue dans ce que Tiphaine Raffier a créé : la neuvième révolution scopique.

Photo de Simon Gosselin, Théâtre du Nord
Outre les décors impressionnants, la prestation des comédiens est remarquable, notamment celle d'Edith Merieau dans le rôle de Véronique. La mise en scène relève d'une qualité supérieure entre les décors qui démontent l'illusion théâtrale – projecteurs et murs apparents – et la toile qui domine le plateau, comme une entité divine, comme l'Etat de cette société qui surveille ses sujets. La pièce nous appelle à réfléchir à notre rapport à l'image et à la technologie. Dans une époque où les « selfies » crée l'identité d'un individu, les nouvelles technologies nous amènent à nous construire une identité sociale, souvent bien loin de ce que nous sommes réellement. Ni pour ou contre ce progrès, Tiphaine Raffier veut avant tout nous faire réfléchir à ce qui construit notre identité et notre condition de mortel. En effet, l'atmosphère oppressante et dérangeante de la pièce nous met face à notre angoisse de la mort. A priori, mourir semble être une fatalité effrayante. Pour autant, la mort ne serait-elle pas une expérience qui vaut le coup d'être vécue ? La science-fiction de l'autrice nous plonge dans un univers où mourir devient un choix et vivre une obligation. La mort apparaît alors comme une constituante de notre identité.
Finalement, Tiphaine Raffier parvient à mettre en scène une pièce de science-fiction remarquable et une intrigue complexe. Elle nous intègre dans son univers car la « représentation archaïque » relève en réalité d'une propagande d'une compagnie d'assurance de souvenirs, à l'instar d'un plot-twist. La science-fiction, genre littéraire plutôt dévalorisé de nos jours bien que très populaire, met le spectateur face à l'angoisse de la mort et de sa quête d'identité. L'art est également traité dans l'intrigue : les œuvres d'art n'ont plus de visage non plus et on enlève 10% des mots d'une œuvre littéraire. À cela, s'ajoute le thème biblique de la résurrection qui impose alors un problème d'ordre moral : jusqu'où la vie relève-t-elle d'une obligation ? La bio-éthique est également un thème central de la pièce dès son commencement avec cette phrase entêtante prononcée dans le prologue : « la technologie est notre patrie. » A la liberté, l'égalité et la fraternité, ont succédé la technologie, la sécurité et l'immortalité.  
Amandine Falbo

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