Que dire ?

  « Que dire ? » Se demande Tom. « Que dire ? » Se demande Tom penché sur sa blanche feuille. Les heures se succèdent et le morceau de papier blanc reste de la même couleur que la neige fraîchement tombée un matin de février. Il était 3:43. Pourquoi 3:43 ? Et pourquoi pas ? C’est agressif comme heure. Non ? Tous ces « R » dans une même phrase vous font l’effet d’os qui se brisent et de noix qui se craquent. Trois heures quarante trois. C’est violent et ça le frappe au visage comme la blancheur de sa feuille un matin de février où il a fraîchement neigé à 3:43 du matin. Encore un peu et ce petit matin se lèvera accompagné de ses petits lapins, ses petits oiseaux et ses petits écureuils. « Petit » par ce que c’est mignon, c’est beau et doux à la fois. Chose que j’ai personnellement toujours trouvé ridicule. Comptez le nombre de petites bêtes ou de petites maladies. Vous trouvez ça mignon? Non. Tout ce qui est petit n’est pas mignon. Prenez une puce, ça saute partout, ça gratte, ça pique et ça fait aboyer votre chien à 3:43 du matin. Et je vous passe toute la méthode pour éradiquer ce genre de petites bêtes. « Merde » se disait-il. Mais je préfère vous écrire « diantre », « fichtre » ou « sacrebleu ». Plus distingué.

  Bref. Vous aimez ce qui est petit ? Vous aimeriez que Tom écrive une petite lettre ? Un petit texte ? une short story ? Mais Tom n’y arrive pas. Et à l’heure où nous parlons il doit être 5:53. Quoi ? Vous voulez une autre explication ? Vous voulez savoir pourquoi 5:53 ? Eh bien ! Vous êtes curieux, vous, lecteurs ! Il est 5:53 parce qu’il est 5:53. Vous êtes déçus ? Je comprends. Mais tout écrit n’a pas sa raison. Il aurait pu être cinq heures cinquante trois parce que c’est une heure tranchante où les Ssssss se succèdent. Mais non. Quoique. Bref. Vous ne voulez donc pas savoir ce que Tom pense ? Ce que Tom fait ou cherche à faire ? Non. Vous voulez savoir pourquoi Tom. Pourquoi une feuille blanche. Et pourquoi 3:43. À force de vouloir savoir pourquoi vous en oubliez le comment, le quoi, le quand, le qui, le où. En clair vous vous en fichez de Tom. Vous voulez savoir pourquoi. Regardez plutôt ! Il est maintenant 6:20 et Tom s’est endormi. Il va devoir se réveiller en sursaut d’ici 20 minutes, pleurer, et gribouiller un petit truc immonde. Bien que petit ce truc ne sera pas mignon. Il va déflorer la neige blanche fraîchement tombée et pure d’un matin de février pour en faire une bouillasse du mois d’Octobre ou de Novembre. Ces jours où il pleut autant qu’il pleure. Vous voulez vraiment voir ça ? Un garçon de 17 ans griffonner trois mots pour un devoir de Français ? C’est pour ça que vous êtes là ? Allons ! Vous me faites rire … Ah ! Attendez il se réveille. Vous voyez ? Il a sursauté, et le voilà qu’il pleure maintenant ! Le lecteur est un indiscret. Vous pensez sûrement « pauvre garçon ». Que vous êtes manipulables. Ah attendez! Non! Ne partez pas! Regardez il écrit, il griffonne, il gribouille, il grise sa blanche feuille.

Tom prend ce qu’il lui reste d’énergie, son courage et son crayon : « Que dire ? ».

Martin Lefebvre