Comment croire au XXIe siècle ?

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     Dans le cadre de la 21 ème semaine européenne de la philosophie, la Citéphilo propose un temps de réflexion philosophique auteur de questions d’actualité tout au long du mois de novembre et qui sera suivi d’autres rencontres de décembre à Juin. Camille Riquier, maître de conférence à la Faculté de philosophie de l’institut Catholique de Paris et corédacteur des Annales bergsoniennes nous parle de son article intitulé « Nous ne savons plus croire » paru dans la revu Esprit en 2016. Il livre sa vision au sujet de la croyance dans les sociétés européennes occidentales au XXI ème siècle lors d’une conférence organisée par France Culture vendredi 10 novembre 2017 au Palais des Beaux Arts de Lille. 



    Qu’est-ce que croire aujourd’hui? Croire aujourd’hui correspond-il à la même chose que croire au XVII ou au XVIII ème siècle? 



      Tout d’abord, nous devons faire face à un constat: les sociétés occidentales européennes ne savent plus croire. Un siècle auparavant, Nietzsche affirmait déjà la mort de Dieu. Pour cacher la détresse d’avoir perdu notre foi, nous cachons cette mise à mort par un déni généralisé face à la possibilité d’existence de celui-ci. En effet, plus nous parlons de dieu, moins nous y croyons et quand nous n’y croyons plus, nous avons besoin de nous faire raviver nos désirs quant à son sujet. 

     La croyance est ce qui concerne la part la plus intime et la moins exprimable en nous, et, il semble donc des plus difficile de l’exprimer au grand jour. De plus, nous somme forcé d’admettre que plus nous parlons d’une chose, moins elle est présente et que lorsque celle-ci se banalise, c’est donc que nous n’en avons plus la conviction intime. Ainsi, nous parlons de Dieu comme d’un sujet lambda car le doute sur son existence réel ou non ne semble plus être d’actualité au XXI ème siècle. Mais pourquoi cet échec de la croyance ne touche-t-elle que les sociétés occidentales européennes? Pour Camille Riquier, les États-Unis sont pour leur part dans une situation de déni. En effet, nous assistons actuellement à un dénis écologique avec la présidence de Trump qui refuse d’admettre la crise que connait la planète Terre. L’élection même de ce conservateur, symbole de l’Amérique traditionnelle traduit une envie de revivre comme à l’époque chez les Américains ainsi qu’un déni de la mondialisation qui s’avère pourtant être un fait inévitable. 

         La croyance est toujours à penser selon une époque. Si les philosophes ont pu dans l’histoire critiquer la religion, il faut se rappeler que même les plus grands génies d’un siècle partagent les croyances communes de leurs époques. Ainsi, Sartre écrivait: « chaque époque à une universalité de sa foi et de son doute » pour nous faire comprendre que chacun a sa manière de douter en parallèle avec son époque. Aujourd’hui, nous vivons dans un siècle de foi faible et donc de doute faible. Le mot « croire » s’est banalisé au cours des siècles et présente aujourd’hui deux sens bien différents. Lorsque nous disons « croire en dieu », cela implique une foi forte et donc un engagement et une fidélité du sujet qui s’exprime. Mais dire « je crois qu’il va pleuvoir » implique à l’inverse une croyance faible qui permet d’exprimer un doute. Ainsi, nous pouvons opposer un sens fort qui équivaut à un « je suis sur que »  à un sens faible du « je crois » car je doute. 

Du côté de la croyance et de la foi, il n’existe point de différence entre ces deux termes et au contraire, ils se caractérisent même par leur interdépendance. En effet, lorsque la foi est reçue, elle passe inévitablement par le canal de la croyance. Ainsi, l’un et l’autre ne sont point séparables. 
         Dans son livre le Le Gai Savoir, Nietzsche déclare: « Dieu est mort » (paragraphe 125). Il met en scène un dément qui cherche Dieu avec sa lanterne dans les rues à la clarté du jour. Ce dernier s’écrit: « je cherche Dieu. Où est passé Dieu? Nous l’avons tué. Dieu est mort. Je viens trop tôt car ceci n’est pas encore arrivé à l’oreille des hommes. » Ainsi, les humains ne semblaient pas encore près à accepter la vérité au XX ème que lequel s’épanouissait Nietzsche. Ce constat n’est rien d’autre que celui du nihilisme. Le mot « dément » signifie « insensé ». Nietzsche fait ici une référence au psaume de l’ancien testament dans lequel l’insensé correspond à celui qui déclare que Dieu n’existe pas. Le dément était considéré comme celui qui se contredit dans ses propos. Aujourd’hui, l’insensé a changé de camps car c’est celui qui croit qui est considéré comme fou. Cette épisode rappelle celui de Diogène qui s’était mis à « chercher les hommes » dans les rues d’Athènes et sous-entendait ainsi que l’homme n’existait pas. Nous sommes ici face à la même situation avec Nietzsche: si le dément ne réussit point à trouver Dieu, c’est alors que ce dernier n’existe pas. Aujourd’hui, nous vivons dans un fond d’incrédulité généralisée. À l’époque, il était toujours possible de ne pas croire en Dieu, mais nul ne pouvait douter de son existence tandis que le XXI ème siècle correspond à celui d’un athéisme qui a été actée. Cet athéisme est un matérialisme dans la mesure où il se ressent partout et est visible au quotidien. Nombre de gens ont cessé de croire en Dieu et dans le même temps, cessé de croire en ses attributs telle que la justice ou encore la vérité. À l’époque, les hommes avaient encore la foi indirecte à travers les valeurs que Dieu incarnait. Aujourd’hui, le soleil semble s’être éteint et nous ne croyons plus en ses valeurs. Ainsi, le concept de justice s’est affaiblit au même moment que nous sommes entrés dans l’ère de la post-vérité. Le Bien et le Mal sont elles-aussi des valeurs qui se sont affaiblies au court de cette perte de lumière divine. La démocratie elle-même est une manière de désacraliser le pouvoir. 
       Cependant, devons-nous déduire un affaiblissement de la croyance ou bien, à une autre manière d’investir notre foi ? La croyance ne serait-elle pas transposer dans autre chose dans lequel l’homme consacrerait son  énergie aujourd’hui ? Avant, nous avions tendance à croire afin de faire comme tout le monde tandis qu’aujourd’hui, la situation semble s’être inversée et la foi s’avère être un témoignage de notre singularité. Les religions sont devenues transnationales et nous pouvons choisir notre propre religion comme nous choisirions la pomme à notre gout sur l’étalage de supermarché. Elle est devenue un choix subjectif qui exprime la singularité de l’individu. Si croire c’est savoir qu’on croit comme l’exprimait Spinoza, alors au fond c’est qu’on ne croit plus. Sartre défini quant à lui cet état comme une mauvaise foi car il correspond à relativiser sa croyance. Nous savons que nous la soutenons de toute notre subjectivité et elle devient donc une croyance faible car le doute a été émis. 
       La maxime de Spinoza qui consistait à dire que « plus on croit, moins on doute » ne semble plus applicable aujourd’hui, maintenant que l’athéisme a décrédibilisé la religion. Nous n’avons alors plus de raisons de douter et donc plus de foi dans la mesure où une foi faible correspond à un doute faible. Cette époque peut ainsi être qualifiée de « post-athéisme ». Dans ses Essais, Montaigne (connu pour son scepticisme) tient le doute comme son meilleur compagnon. Il livre avoir eu auparavant de la compassion pour ce « pauvre peuple abusé par ces sottises », puis, déclare ensuite que la raison lui a fait comprendre qu’il fallait ramener les choses à la mesure de nos compétences. Le bon sens consisterait à dire que la connaissance apparait parfois comme un obstacle à la croyance mais elle ne nous rend pas cependant totalement hermétique à l’ignorance car nous devons rester humble et nous rendre compte que nous n’avons jamais totalement en main toute la connaissance du monde. En d’autres mots, il ne faut pas se prendre pour Dieu. Montaigne décrit notre situation de foi faible comme celle d’un doute faible. En remettant ses propos dans le contexte du XVI ème siècle,  nous pouvons constater d’un changement majeur dans les esprits qui l’ont conduit à penser de telle sorte. Ce dernier s’exprime sous le règne de François Ier qui n’est autre que celui de la réforme, du scepticisme mais aussi celui du mouvement de la Renaissance qui s’apprête à gagner toute l’Europe. Luter venait toute juste d’ébranler toutes nos croyances et les guerres de religions de nous révéler la diversité des religions présentes sur Terre. En parallèle, Montaigne assiste également à un choc des cultures avec la colonisation qui a fait prendre conscience aux occidentaux des multiples mode de civilisations possibles. Ainsi, il s’exprime dans une ère où le doute se propage dans tous les esprit et amène le peuple à douter de tout. Débute alors l’époque de la crédulité qui ouvre la voie à diverses machinations qui laissent croire les hommes en l’existence des sorcières par exemple. Ce siècle est donc celui d’un foi faible où les croyances furent totalement déréglées au point que les hommes sont amenés à croire en tout. Il correspond à un siècle intermédiaire, décrit comme « faible », dans lequel le doute fait irruption mais où il n’est pas encore régulé par la Raison des Lumières qui fera son entrée deux siècles plus tard. Les guerres de religion ont ainsi ouvert la porte aux scepticisme et entrainé dans un même mouvement une crise de la croyance. Ainsi, faute de critères rationnelles, les hommes durent faire appel aux arguments d’autorités et s’en remettre aux anciens, expliquant ainsi l’humanisme de la Renaissance. Francis Ponge relevait les propos  de Montaigne: « je ne dirais jamais « je pense » mais « je crois » ou  « il me semble » ». En effet, dans le livre III des Essais, Montaigne préférait user d’un vocabulaire plus apte afin de neutraliser un ton dogmatique. Le philosophe déclare: « nous sommes des imbéciles car nous avons besoin d’appui », en se comprenant lui-même parmi cette catégorie. Par là, il définit d’ imbécile celui dont les capacités, par l’infirmité ou bien l’âge, ont été rendu insuffisante. L’imbécile est donc, d’après cette définition, celui ayant  besoin de béquilles, d’aide et notamment d’anciens. 
         Nous pouvons constater différentes modalités de croyance aujourd’hui. Une des plus répandue dans les sociétés occidentales est la figure de l’agnostique. Le romancier Emmanuel Carrère dresse son portrait à partir de son expérience passée avec la religion. Il décrit dans son livre Le Royaume paru en 2014 ses trois années passées en tant que chrétien et la force de la foi qu’il a pu expérimenter dans ce qu’il nomme « une période de crise de sa vie ». Tombé dans la religion dans un moment de détresse, il nomme paradoxalement cette foi ardente de « fausse foi ». Ses propos trouvent alors un écho avec ceux du psychanalyste Freud qui définissait la croyance comme un mécanisme de consolation permettant de « donner foi » , soit de donner sens à notre vie quand celle-ci nous parait dépouillée de toute signification. Le roman d’Emmanuel Carrère est un livre en diptyque dans lequel le lecteur se trouve confronté à la découverte de la foi de l’auteur qui est définie comme faible quand elle est de forte intensité, et, à l’inverse, forte lorsque celle-ci est perdue. La certitude de ne pas croire permet ainsi de dissiper la croyance. Le narrateur qui avait la ferme conviction que sa guérison était due à Jesus Christ, refusa ainsi de parler de sa foi à sa psychanalyse dans la crainte que celle-ci tente de lui briser. Mais cette crainte elle-même est en réalité le témoignage d’une foi faible. Alors, il n’y a pas d’autre constat à dresser de son expérience religieuse que cette crise de ferveur religieuse n’était en vérité rien d’autre qu’une « crise de foi ». Ainsi, ne vaudrait-il pas faire comme le faisait les prêtres dans l’ancien testament, qui avaient la conscience que la vérité demeure ébranlable, et chercher, non ce qui est vrai, mais ce qui est vraisemblable dans la croyance pour dépasser cette crise de la croyance ? 

Constance Maillard 

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