J'ai été amoureux un jour
J’ai
été amoureux un jour. Ça remonte à loin. Ça remonte à loin
pourtant j’en ai encore des souvenirs. Je me souviens que c’était
bien. C’était bien d’être amoureux. Et je me souviens que
c’était mieux quand quelqu’un était amoureux de nous. Enfin
non, il fallait que les deux s’aiment, c’était la règle de
l’amour. Je me souviens que l’amour était humide, qu’il y
avait la violence qui fait du bien, celle qui ne fait pas vraiment
mal. La violence des sentiments. Et on redevenait des animaux, comme
quand on était enfant, des animaux, non, des hommes qui se croient
animaux. Je me souviens de l’amour, pourtant c’est lointain,
c’était quand j’étais encore quelqu’un. Maintenant je ne le
suis plus, ni amoureux ni quelqu’un.
Lia,
c’est comme ça que je l’avais appelée. Je l’avais rencontrée
loin d’ici. Là où on cache son nez sous une écharpe. Je l’avais
rencontrée. C’est tout. C’est elle qui a fait le reste. Au fond,
je n’avais pas vraiment connu l’amour avant. Enfin si, mais pas
comme ça. L’amour besoin, l’amour regret, c’est celui là que
je connaissais. C’est Lia qui m’a montré que d’autres amours
existaient.
C’était
elle qui m’avait embrassé la première fois. C’était dans la
neige je crois. J’avais les phalanges violacées, brûlées par la
glace. A l’époque je n’avais pas de gants, je n’avais pas de
manteau non plus. Je n’avais que mes rêves. Ils suffisaient à me
tenir chaud. Mes rêves m’avaient fait dormir dans les rues de
nombreuses capitales glaciales et mes mensonges me menaient de l’une
à l’autre.
Ça
m’allait. Mais j’ai oublié tout ça. J’ai oublié mes rêves
avec Lia. Quand je l’ai rencontrée je n’en n’avais plus
besoin. Je n’en n’avais plus besoin parce qu’au fond, ils me
menaient au bonheur. Lia, elle parlait plus de langues qu’il
n’existait de pays. Sa langue rose et rugueuse, avait parlé dans
une langue que je ne connaissais pas. Pourtant mon cœur l’avait
comprise. Alors il me poussa à l’apprendre. Et bientôt ma langue
répondait à ses caresses. Le bout chaud sur la lèvre inférieure,
puis les dents, dures, et lisses. Oui, nous nous comprenions. Et
bientôt elle compris pourquoi j’étais auprès d’elle.
J’avais
quitté mon pays. J’étais parti en courant. J’avais couru pour
sentir le vent me traverser. J’étais parti pour voir si ailleurs
c’était moins pareil. Dehors. C’était dehors que je pouvais
être chez moi. Je n’ai jamais aimé le minuscule, ce qui a une
fin. Lia me montra qu’il y avait des choses qui n’en avaient pas.
Elle me montra le ciel, elle me montra les steppes glacées, elle me
montra son amour pour moi. J’ai passé quelques nuits, à
m’endormir la nuque entre ses cuisses, regardant l’ampoule nue au
plafond qui se devinait dans la lumière des phares de voitures.
Lia
pensait au début que je ne parlais pas de moi parce que je n’avais
pas le vocabulaire pour. C’était faux, j’étais presque devenu
bilingue. Quoique je ne connaisse mal le vocabulaire du cœur,
quelque soit sa langue. C’est l’alcool qui arracha mes premiers
mots ventriculaires. Je lui avais dit que je l’aimais. C’est
tout. C’était pas forcement vrai mais j’avais eu envie de le
dire. On était chez elle, je me sentais chez moi…
Son
studio était une bourrasque. Enfin il y avait tant de partitions par
terre que je m’amusais à le décrire comme ça. Elle jouait de la
guitare. Enfin la guitare de son pays. Les notes étaient plus
acides. Acide… C'était son appartement, et mon foie qui l’étaient.
La lumière était jaune, le balcon plein de la poussière noire que
rejettent les voitures et des mégots qui dormaient sur son parquet.
Nous buvions des bières tièdes. Trop de bières. Rendant l’ivresse
pâteuse et le sommeil flottant.
On
s’embrassait sur son balcon, après s’être engueulé. Ouais, le
plus souvent, on allait fumer après s'être engueulé. Nous fumions,
l’un et l’autre à chaque extrémité de son balcon-couloir. Nous
nous passionnions faussement pour l’horizon obscur. Pas de mots.
Seul le bruit des moteurs qui redémarrent, seul le bruit de nos
expirations tabaculeuses et encore solides de colère. Elle était
odieuse. C’est pour ça que je la voulais, que je la dévorais, que
je voulais la dévorer, constamment.
Le
vent me traversait par le flan. Froid, givré, et je la protégeais
malgré moi de lui. J’aurais voulu que ça soit elle qui se glace,
qu’elle sente ses nerfs se rétracter, qu’elle frissonne, qu’elle
tremble, qu’elle souffre. Mais je lui coupais le vent. Alors sans
vraiment m’en rendre compte, peut-être par instinct, je vins vers
elle.
J’arrivais
dans son dos, mais elle m’avait parfaitement vu. D’une main,
j’enlevais ses cheveux et du bout des lèvres, j’embrassais son
cou. Je perdis une joue, brûlée, réduite en une poussière froide.
Elle m’avait giflé. Elle avait giflé ma joue que le vent avait
glacée. Je la saisis alors, les bras sous ses seins, bloquant les
siens, puis je la mordis avec toute la haine qu’elle m’avait
inspiré.
Lia
cria. Cela me plut. C’était pourtant de la douleur. Je lâchai
prise. Elle se retourna face à moi. Ses yeux étaient mauvais. Elle
avait les yeux de la bête blessée et rancunière. Elle avait les
yeux du monde entier. Une petite planète sous ses paupières. Et
nous nous mordîmes mutuellement. D’abord le cou, puis les lèvres,
puis la peau, puis toute la peau…
Je
m’étais rasé la queue pour elle. Pour qu’elle me dévore. Pour
moins la repousser. Je savais que je n’étais pas beau dans ses
yeux. Mais c’était moi qu’elle mangeait goulûment. Et je la
léchais en retour. Sa peau, qu’elle avait, à une autre époque,
marquée à vie, des cicatrices un peu partout, même à quelques
endroits surprenants, sa peau, je l’aimais. Nous ne sortions plus
de son appartement. Trop de douceur, trop de chaleur pour sortir dans
les rues froides de son pays enneigé. Elle n’allait même plus en
cours, c’était comme si elle ne continuait plus ses études.
Lia
avait apporté dans ma vie de l’amour et de la tendresse. J’ai
amené dans la sienne mon poison. J’ai apporté dans sa vie la
drogue et le goût de l’abstrait, le goût de l’onirique. Je l’ai
empoisonnée. Elle rata ses examens. Aucune envie de travailler, nous
vivions sur ses économies. Nous nous contentions du minimum. Ça
nous suffisait. Un jour d’été, ça n’a plus suffi.
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