Révéler sa mort : la fin du monde ?


La visite du fils, du frère, prodige entame le début de la fin. Comme Louis, joué par Gaspard Ulliel qui a reçu le César du meilleur acteur en 2017 pour sa performance, le dit lui-même :  il y va pour annoncer sa mort.

           Juste la fin du monde a été réalisé par Xavier Dolan, récompensé aux Césars, d’après la pièce de théâtre de Jean-Luc Lagarce. C’est l’histoire d’un dramaturge talentueux qui rend visite à sa famille après douze ans d’absence. Louis rentre dans ce monde qu’il avait laissé derrière lui, et est confronté à la dure réalité. Le temps qui s’est écoulé a façonné les âmes. Le frère qu’il a connu, Antoine, joué avec brio par Vincent Cassel, n’est plus celui qu’il était. Sa mère, incarnée par une superbe Nathalie Baye, a changé. Sa sœur, Susanne, magnifiquement portée par Léa Seydoux, qu’il connait à peine, est une personne tout à fait nouvelle qu’il lui faut découvrir. Lui-même n’est plus le Louis de ses vingt ans. La nostalgie du temps passé ne cesse de revenir, récurrence qui rattache le présent à un passé révolu, à un souvenir éteint.
            L’ambiance malsaine, brute, nous déroute complètement, nous touche au plus profond de notre être. Le poids du silence de Louis pendant les douze années précédentes écrase cette famille. Malgré les tentatives de Catherine, incarnée par Marion Cotillard, de rapprocher les deux frères, d’alléger le fardeau du temps qui passe, on est guidé jusqu’au climax final, coup de poing que les phalanges à peine cicatrisées d’Antoine portent dans un plan rapproché très émouvant.

Le désir de dire

            Le spectateur est tenu en haleine tout au long du film, attendant nerveusement l’annonce de Louis. Les mensonges de ce dernier, comme lui a conseillé sa mère, veulent apaiser les tensions, mais c’est sans doute la rudesse d’Antoine, qui se révèle dans son malheur, dans sa jalousie, qui transforme ces paroles en huile, jetée sur le feu. Et pourtant, Louis n’est pas exempt de fautes. Il ne fait rien pour rattraper sa sœur en larmes, pour apprendre à la connaitre. Ces « trois mots » qu’il répond ne sont pas trois mots qu’il dit. Même s’il le veut. Le poids du silence l’étouffe. Le poids du silence le brigue dans son élan de dévoiler ses intentions. C’est une boucle sans fin qui l’amène malgré lui au silence.

            Des cris, des larmes, du ressentiment, de la haine. Du non-dit. Le jeu très juste des acteurs nous immerge dans cet univers dont nous n’avons qu’une envie, nous échapper. Comme l’a fait Louis. Comme veulent le faire Antoine et Susanne. C’est une cage, dans laquelle l’oiseau se brise les ailes. L’oiseau est emprisonné dans cette prison d’où il ne parvient pas — plus —  à s’échapper. L’horloge sonne, sa destinée est fixée. Il mourra ici, comme le petit être volant allongé sur le tapis.

Gaëlle Sheehan 

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