Le Lycée Faidherbe peut-il être fier de porter ce nom ?
Le Lycée Faidherbe peut-il être fier de porter ce nom ?
Questionnement sur Louis Faidherbe et le colonialisme français. ( article d’opinion )
D’où vient le nom de notre cher lycée, qui est le personnage dont le nom est porté fièrement partout sur nos khâlots, bulletins, insignes etc. et est-il légitime de glorifier ce personnage, ce sont les questions auxquelles je tenterai de répondre.
Louis Faidherbe est un personnage militaire et politique français éminent du 19ème siècle, ainsi qu’une figure coloniale importante, originaire de Lille, d’où la statue, la rue et le lycée qui lui sont consacrés, comme dans beaucoup d’autres villes du Nord, et dont la figure est fièrement représentée au lycée, notamment dans la cantine.
Celui-ci nait donc à Lille ( rue Saint-André dans le Vieux Lille ) le 3 juin 1818, d’une famille modeste. Son parcours reflète celui d’un enfant modèle, très doué en mathématiques, il étudie au collège de Lille, avant d’obtenir une bourse pour entrer au collège royal de Douai, après lequel il commence sa formation militaire en intégrant l’Ecole polytechnique en 1838, puis l’Ecole d’application de l’artillerie et du génie de Metz dont il sort officier en 1842.
Il sert alors l’armée française dans son expansion coloniale, participant à la conquête de l’Algérie de 1842 à 1847, avant d’être envoyé en Guadeloupe, puis de nouveau en Algérie.
Sa première grande oeuvre débute en 1854, année durant laquelle il est nommé gouverneur de la colonie du Sénégal. Il y entreprend alors une politique de « pacification » et de développement économique qu’il poursuivra jusqu’en 1865, sur laquelle nous reviendrons.
Son deuxième grand fait est un fait de guerre qui assoira sa notoriété dans la région, il est en effet nommé fin novembre 1870, alors que la guerre franco-prussienne est déjà mal engagée, commandant de l’Armée du Nord, et il s’illustre alors par une défense opiniâtre pour tenter de défaire le siège de Paris, il cédera à Saint-Quentin le 19 janvier. Il permit néanmoins d’éviter l’occupation du Nord Pas de Calais.
Il commence ensuite sa carrière politique en étant brièvement député républicain ( à gauche, s’opposant aux monarchistes ) en 1871, puis conseiller général du Nord pour le canton Lille- Centre, et enfin sénateur du département du Nord de 1879 à 1888.
Il meurt en 1889, et quatre ans plus tard voici le collège de Lille, dans lequel il a effectué le début de sa scolarité, rebaptisé « Lycée Faidherbe » en l’honneur de son ancien et glorieux élève.
La rapide présentation étant faite, revenons maintenant sur le « glorieux » accomplissement de Louis Faidherbe au Sénégal.
Il y entreprit d’abord une conquête et une expansion militaires. Avant son arrivée, le Sénégal n’était occupé par la France que par quelques comptoirs, Saint-Louis, l’île de Gorée et les abords du fleuve. Il a donc transformé le Sénégal en un territoire français à part entière, en combattant et en délogeant les populations sur place, les Maures Trarza puis le puissant Empire toucouleur.
Il étend ainsi le territoire du Sénégal jusqu’à 400 000 kilomètres carrés à son départ, jetant les bases de la future « Afrique occidentale française » (AOF), fédération de pays d’Afrique de l’Ouest ( Mauritanie, Sénégal, Mali, Guinée, Côte d’Ivoire, Niger, Burkina Faso, Togo et Bénin ) occupés et administrés par la puissance coloniale française de 1895 à 1958.
D’autre part, sur le plan économique, il crée des améliorations, triplant le commerce de 1854 à 1869, aménageant les ports de Saint-Louis, Rufisque et Dakar, qu’il fonde lui-même en 1857. Dans le domaine administratif, les pays conquis sont divisés en cercles dirigés par des commandants européens ayant sous leurs ordres des chefs de canton africains, système souple qui laisse une part de l'autorité aux élites locales traditionnelles et qui sera imité dans toute l’Afrique.
Sur le plan social, il pourchasse l'esclavage de traite, trafic d’êtres humains fraichement aboli
depuis 1848 en France sous l’impulsion de Schoechler, et limite l'esclavage de case, faisant des
noirs les domestiques des riches propriétaires blancs, toujours basé sur un racisme évident.
Finalement, si Louis Faidherbe n’est pas non plus un méchant colonisateur exterminant les populations locales, de sérieuses questions peuvent se poser quant aux conséquences du colonialisme français et à la façon de traiter ce passé.
Devrions nous admirer la statue de ce personnage en plein centre de Lille, ou plutôt la retirer à la manière des habitants de Charlottesville aux Etats-Unis comme la statue du Général Lee, figure de la Guerre de Sécession et des Etats confédérés du Sud ouvertement racistes ?
Dans notre cas, si le nom de Faidherbe est fréquemment repris dans le Nord, c’est aussi parce que son action militaire et politique dans la région a été déterminante, néanmoins l’importance son activité coloniale ne peut pas être négligée.
Celle-ci était alors inévitablement basée sur une idéologie raciste, considérée comme légitime à cette époque et même « scientifiquement » avérée par des théoriciens comme Arthur de Gobineau dans son « Essai sur l’inégalité des races humaines » paru en 1853 qui consistera la base de l’idéologie raciste et du mythe aryen.
Plus tard, Jules Ferry justifiera la politique coloniale française par la « mission civilisatrice », ce « devoir de civiliser les races inférieures » (discours du 28 juillet 1885) qui revient à la France.
Le racisme et ses conséquences dans la politique coloniale française, pourtant incompatibles avec les principes d’égalité et de liberté inscrits dès 1792 dans la Constitution, et appliqué sous la 3ème République, font donc entièrement partie du contexte et de la pensée du 19ème siècle, on peut dès lors difficilement le condamner depuis notre regard contemporain.
La question est plutôt de savoir comment traiter cet héritage colonialiste, que je trouve personnellement gênant et honteux, au vu des traitements infligés à de nombreux peuples opprimés et privés d’auto-determination pendant longtemps, puis rendus à eux-mêmes brutalement dans des conditions socio-économiques catastrophiques, dont ils peinent à se relever encore aujourd’hui, surtout en Afrique.
Le fait qu’un lycée, établissement publique appliquant l’égalité des droits et des chances pour tous, symbole de la République française, porte le nom d’une figure coloniale suivant inévitablement une idéologie raciste et contraire aux principes justement prônés et enseignés par le lycée, même s’il n’est en soi pas un grand criminel, peut alors se révéler problématique.
Mais sommes-nous prêts à renoncer à une figure du passé, en raison de son passé colonialiste ? Ou la France n’en a t-elle toujours pas fini avec celui-ci ?
En réalité, il est bien difficile de s’en détacher, car si l’Empire colonial français n’existe plus officiellement depuis 1946 et son remplacement par l’Union française et les départements et territoires d’Outre Mer ( DOM-TOM ), qui se sont réduits aujourd'hui à quelques petits pays ayant choisi leur rattachement à la France ( Guyane, Guadeloupe, Martinique...), le rayonnement mondial de la France, 6ème puissance économique, pays le plus visité au monde, ne peut être que malheureusement en partie dû à son expansion coloniale passée, qui lui permet toujours aujourd’hui par exemple de posséder la deuxième plus grande Zone Economique Exclusive (ZEE) au monde après les Etats-Unis. Les rapports ambigus de la « Françafrique » en est un autre.
Pour finir, le passé colonialiste de la France, et toutes les contradictions avec ses principes qu’il implique, semble étroitement lié à son histoire, et il semble alors impossible de révoquer des personnages appartenant à ce passé pour cette raison, du fait des innombrables hommes politiques ayant mené à bien cette politique, à commencer par Jules Ferry, plus honoré aujourd'hui pour l’école obligatoire et gratuite pour tous que pour son discours colonial.
Finalement, si Louis Faidherbe n’est pas non plus un méchant colonisateur exterminant les populations locales, de sérieuses questions peuvent se poser quant aux conséquences du colonialisme français et à la façon de traiter ce passé.
Devrions nous admirer la statue de ce personnage en plein centre de Lille, ou plutôt la retirer à la manière des habitants de Charlottesville aux Etats-Unis comme la statue du Général Lee, figure de la Guerre de Sécession et des Etats confédérés du Sud ouvertement racistes ?
Dans notre cas, si le nom de Faidherbe est fréquemment repris dans le Nord, c’est aussi parce que son action militaire et politique dans la région a été déterminante, néanmoins l’importance son activité coloniale ne peut pas être négligée.
Celle-ci était alors inévitablement basée sur une idéologie raciste, considérée comme légitime à cette époque et même « scientifiquement » avérée par des théoriciens comme Arthur de Gobineau dans son « Essai sur l’inégalité des races humaines » paru en 1853 qui consistera la base de l’idéologie raciste et du mythe aryen.
Plus tard, Jules Ferry justifiera la politique coloniale française par la « mission civilisatrice », ce « devoir de civiliser les races inférieures » (discours du 28 juillet 1885) qui revient à la France.
Le racisme et ses conséquences dans la politique coloniale française, pourtant incompatibles avec les principes d’égalité et de liberté inscrits dès 1792 dans la Constitution, et appliqué sous la 3ème République, font donc entièrement partie du contexte et de la pensée du 19ème siècle, on peut dès lors difficilement le condamner depuis notre regard contemporain.
La question est plutôt de savoir comment traiter cet héritage colonialiste, que je trouve personnellement gênant et honteux, au vu des traitements infligés à de nombreux peuples opprimés et privés d’auto-determination pendant longtemps, puis rendus à eux-mêmes brutalement dans des conditions socio-économiques catastrophiques, dont ils peinent à se relever encore aujourd’hui, surtout en Afrique.
Le fait qu’un lycée, établissement publique appliquant l’égalité des droits et des chances pour tous, symbole de la République française, porte le nom d’une figure coloniale suivant inévitablement une idéologie raciste et contraire aux principes justement prônés et enseignés par le lycée, même s’il n’est en soi pas un grand criminel, peut alors se révéler problématique.
Mais sommes-nous prêts à renoncer à une figure du passé, en raison de son passé colonialiste ? Ou la France n’en a t-elle toujours pas fini avec celui-ci ?
En réalité, il est bien difficile de s’en détacher, car si l’Empire colonial français n’existe plus officiellement depuis 1946 et son remplacement par l’Union française et les départements et territoires d’Outre Mer ( DOM-TOM ), qui se sont réduits aujourd'hui à quelques petits pays ayant choisi leur rattachement à la France ( Guyane, Guadeloupe, Martinique...), le rayonnement mondial de la France, 6ème puissance économique, pays le plus visité au monde, ne peut être que malheureusement en partie dû à son expansion coloniale passée, qui lui permet toujours aujourd’hui par exemple de posséder la deuxième plus grande Zone Economique Exclusive (ZEE) au monde après les Etats-Unis. Les rapports ambigus de la « Françafrique » en est un autre.
Pour finir, le passé colonialiste de la France, et toutes les contradictions avec ses principes qu’il implique, semble étroitement lié à son histoire, et il semble alors impossible de révoquer des personnages appartenant à ce passé pour cette raison, du fait des innombrables hommes politiques ayant mené à bien cette politique, à commencer par Jules Ferry, plus honoré aujourd'hui pour l’école obligatoire et gratuite pour tous que pour son discours colonial.
Bref, la question du colonialisme est extrêmement complexe, mais une chose est sûre c’est que la décision de broder Faidherbe sur nos chers khâlots pourrait s’avérer regrettable tout compte fait...
Nicolas Lebrun, HK BL.
Sources :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_Faidherbe
Jean-Marcel CHAMPION, « FAIDHERBE LOUIS - (1818-1889) », Encyclopædia Universalis [en
ligne], consulté le 09 décembre 2017. URL : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/louis-
faidherbe/
Jean BRUHAT, « COLONIALISME & ANTICOLONIALISME », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 08 décembre 2017. URL : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/colonialisme- et-anticolonialisme/
Jean BRUHAT, « COLONIALISME & ANTICOLONIALISME », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 08 décembre 2017. URL : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/colonialisme- et-anticolonialisme/
Bonjour,
RépondreSupprimermerci beaucoup pour cet article! Je fais partie de l'association Survie Nord, où nous abordons les questions de colonialisme, et nous voulons justement mener une grande campagne pour le bicentenaire de Faidherbe en 2018. Le but est de questionner le colonialisme et la mémoire que nous en avons, notamment en honorant des noms comme celui de Faidherbe sans regard critique.
Nous serions fortement intéressés par un travail collaboratif avec des professeurs et des élèves du lycée Faidherbe, qui pourrait prendre diverses formes que nous pourrions décider ensemble.
Si vous êtes intéressés, n'hésitez pas à me contacter à l'adresse nicolas.butor@gmail.com.
Merci d'avance pour votre attention, et à bientôt!
Nicolas