A Ghost Story - David Lowery
“Whatever hour you woke there was a door shutting.” - Virginia Woolf, A Haunted House and Other Short Stories
A Ghost Story est un film audacieux. Audacieux, il l’est dans son titre et dans son concept, à la fois trompeur et honnête. Trompeur, car il évoque un imaginaire fantastique et terrifiant, riche en contes horrifiques et histoires de revenant dont il ne suit pas les codes et règles. Honnête, car il répond exactement à la promesse initiale : il s’agit d’une histoire de fantôme, ni plus, ni moins.
Dans la droite lignée de certains succès critiques récents, A24 Pictures (The Lobster, Swiss Army Man, Moonlight...) continue de proposer des films intimistes et claustrophobes, aux thématiques intrigantes. Le long-métrage de David Lowery prend le contre-pied du film d’épouvante classique. Après une courte séquence d’introduction, un homme (Casey Affleck) meurt brutalement. Son esprit, sobrement affublé d’un drap blanc, rentre chez lui pour observer sa veuve (Rooney Mara) et hanter la maison. Alors, spectre et spectateurs errent sans but dans une attente éternelle, indéfinissable, dans les moindres recoins de la demeure. Car A Ghost Story, avant d’être un film sur l’amour ou même sur la mort, est un film sur le temps qui passe. Un temps éternel, implacable, qui nous rattrape toujours et nous engloutis pour mieux nous réduire en poussière. Un temps de l’attente, l’attente d’un espoir, d’un souvenir, d’une fin, d’une action, qui n’a parfois jamais lieu. Mais c’est aussi un film sur l’isolement, la solitude, le regret, la nostalgie, la joie, la frustration. La vie, en somme.
A Ghost Story, davantage que par son synopsis, se démarque surtout dans ce qu’il donne à voir et à entendre. La réalisation atmosphérique se caractérise par des plans longs et intenses, souvent immobiles, voir monolithiques. L’attente et la frustration de ce fantôme, condamné à l’impuissante observation, contamine le spectateur par la virtuosité du montage, le travail de photographie, la construction de ses cadres, le mouvement des corps… L’énorme soin apporté au mixage audio, couplé aux compositions de Daniel Hart achèvent de construire cette atmosphère si éthérée et singulière. Ce qui marque, dans A Ghost Story, c’est sa beauté plastique pure et simple, et l’excellence du travail de narration visuelle. La poésie est omniprésente dans la réalisation de A Ghost Story ; de la virtuose scène de la tarte, prodigieuse d’intensité, aux divers effets d’ellipses, de retours et de boucles qui s’intègrent au montage dans l’utilisation du mixage, jusqu’à l’admiration de ces divers panoramas étoilés qui ponctuent le récit de leur beauté glaçante… « Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie. », disait Pascal.
Mais ce qui fait la grande force de A Ghost Story fait aussi sa faiblesse. Soyez prévenu, il s’agit d’une œuvre contemplative, qui pousse a la réflexion, et son visionnage n’est pas forcément « agréable » : A Ghost Story est un pur anti-divertissement. Pendant une longue heure et demie, il nous renvoie en permanence à notre propre mortalité, notre finitude, à la futilité d’une existence vouée à la disparition. La mort viendra quand même, nul ne peut y échapper ; et la froideur avec laquelle A Ghost Story le rappelle peut-avoir quelque chose de profondément écœurant (j’en ai fait l’expérience). L’autre aspect pouvant sembler rebutant dans le film est le potentiel ennui qu’il peut susciter. L’approche très contemplative et psychologique de l’œuvre, ses plans interminables qui nous plongent dans une attente qui n’est toujours pas récompensée, son écriture lacunaire et obscure, les silences qui composent la majeure partie du film, peuvent rebuter qui s’attendait à se divertir dans la salle. Et pourtant, c’est ce qui est, pour moi, la réussite du film : Plus que de simplement nous amuser, A Ghost Story a la prétention de nous fait ressentir des choses, des sensations, qui ne sont pas forcément agréables, mais qui sont terriblement intenses. L’ennui, la frustration, le malaise que l’on peut trouver face à un film aussi contemplatif, est d’abord celui du spectre, qui nous le transmet dans le cadre de cette expérience profondément acérée.
En somme, A Ghost Story est un film qui a divisé, et qui continuera a le faire. Il a néanmoins le mérite de proposer une vision jusqu’au-boutiste du cinéma, de creuser (presque, à mon sens, mais il faut voir le film pour comprendre la nuance) jusqu’au bout ses thématiques et ses questionnements et de proposer une véritable expérience cinématographique. La grandeur d’A Ghost Story, c’est qu’il donne a voir du cinéma.
Marius Guyon
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