La question kurde
Retour sur l'Histoire et la question kurde :
« Bats-toi pour ta nation » ou l'affirmation d'un peuple combattant
Par Amandine Falbo, le 26 janvier 2018
La fin de l'Etat Islamique (EI) en Syrie pose de nouvelles questions d'ordre géopolitique, notamment quant à l'indépendance du peuple kurde engagé dans les combats. À l'instar des Polonais auparavant, les Kurdes n'ont jamais eu leur propre territoire et constituent aujourd'hui le peuple apatride le plus important au monde. Trente à quarante millions de Kurdes s'étendent dans quatre pays du Moyen-Orient : la Turquie, la Syrie, l'Irak et l'Iran. Ils font alors face à une situation particulière et problématique.
Les Kurdes ne se considèrent pas comme Arabes. En effet, ils descendent du peuple mède, proche des Grecs et envahi plus tard par le peuple arabe. Leur langage descend alors des langues indo-européennes. Ils possèdent toute l'idiosyncrasie d'une nation mais la problématique demeure le territoire. Le traité de Sèvres de 1920, lors du démantèlement de l'empire ottoman, prévoyait la formation d'un territoire kurde mais celui-ci ne s'est jamais effectué à cause de l'opposition des pays concernés. Depuis, les Kurdes se battent toujours pour leur indépendance et leur unité. Cependant, ils sont loin d'avoir des idées politiques semblables.
Bien que souhaitant tous leur indépendance, les militants kurdes se divisent quant aux moyens à adopter. En Irak, les Kurdes sont parvenus à obtenir leur autonomie avec par conséquent leur propre gouvernement et leurs propres lois mais également leur propre armée : les Peshmergas. Cette armée se trouve en première ligne du front irakien contre l'EI et compte de nombreuses femmes kurdes dans leur rang. Les Peshmergas ne font pas de différence entre homme et femme au combat. Tous sont considérés comme des soldats honorables. Pour autant, la population kurde n'est pas très féministe sur le plan social. En effet, si les femmes combattantes sont honorées et considérées comme égales, la vie des autres femmes kurdes se résume au mariage, aux enfants et au ménage. De nombreuses femmes choisissent alors de s'engager d'une part pour acquérir l'égalité et d'autre part pour défendre leur nation mise en péril par Daech. Ces combattantes sont souvent représentées dans les médias occidentaux féminines et sexy alors que la guerre n'a absolument rien de sexy, comme s'il ne fallait surtout pas effacer les frontières du féminin. C'est le cas de cette combattante surnommée l'Angelina Jolie kurde, de son vrai nom Asia Ramazan Antar, morte le 30 août 2016 lors d'un combat près de Manbij (Syrie). Le peuple kurde s'illustre au combat par leur présence sur les premières lignes et leur volonté de défendre leur nation, comme une résurgence du dix-neuvième siècle européen. Le peuple kurde pose alors la question du vieux droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.
Le 25 septembre dernier, les Kurdes d'Irak ont dit oui à l'indépendance lors d'un référendum organisé par le Kurdistan irakien, dirigé alors par Massoud Barzani. L'autonomie kurde, inscrite dans la Constitution irakienne, a pris alors un nouveau tournant. Pour autant, à l'instar de la Catalogne, l'Etat irakien ne reconnaît pas ce référendum, le jugeant illégal. Bagdad a donc posé un ultimatum aux Kurdes et les a menacés. Le premier ministre irakien, Haïder Al-Abadi, est soutenu par la Turquie qui voit dans ce référendum une menace, craignant que les Kurdes vivant dans son territoire fassent de même. Pour autant, Abadi a écarté l'intervention militaire votée par le Parlement irakien en septembre 2017. La crise continue entre Erbil et Bagdad, ce qui a poussé Barzani à démissionner de son mandat en octobre 2017 dans une lettre adressée au parlement de la région autonome kurde et ce qui a contribué au recul kurde sur leur indépendance. Le 14 novembre 2017, le gouvernement régional du Kurdistan irakien a annoncé sa décision de respecter le choix de la Cour fédérale suprême, saisie par le gouvernement irakien. C'est ainsi que la flamme de l'indépendance kurde s'est éteinte.
Cependant, ce mois-ci, c'est la Turquie qui a entrepris de s'attaquer aux Kurdes et particulièrement à la milice kurde syrienne des Unités de protection du peuple (YPG) considérée par Ankara comme une organisation terroriste. Alors que le YPG a contribué à la victoire à Raqqa, la milice a commencé à sécuriser la frontière turque avec la Syrie pour éviter le passage des djihadistes, ce que n'accepte pas Recep Tayyip Erdogan. Selon le représentant en France du Kurdistan syrien, Khaled Issa, le président turc veut posséder un moyen de pression sur les Occidentaux. Avoir une frontière poreuse permettrait à la Turquie de contrôler les groupes extrémistes et de faire pression sur l'Occident en menaçant de les laisser passer. Officiellement, la Turquie a décidé d'attaquer le nord de la Syrie car le 14 janvier, la coalition antidjihadiste a annoncé la création d'une force frontalière dans cette zone de 30 000 hommes, la plupart fournis par les Forces démocratiques syriennes (FDS) composées d'une alliance entre Kurdes et Arabes. Les combats se concentrent alors depuis trois jours sur la ville d'Afrine, qui constitue un lieu stratégique. En effet, grâce à la guerre, les Kurdes syriens ont pu établir leur autonomie sur les territoires qu'ils contrôlaient, dont Afrine que le YPG a prise en 2012. De plus, le soutien croissant de Washington pour ces groupes armés kurdes fait craindre à Ankara une insurrection. L'issue de ce conflit paraît donc incertaine, les pays occidentaux ne voulant pas s'engager dans le conflit car la Turquie est un membre de l'Otan et les Kurdes ont permis la destruction progressive de Daech en Syrie. Une ONG rapporte qu'au moins 21 Kurdes, dont 18 civils, ont été tués en 48h par les missiles de l'aviation turque. Ce conflit pourrait alors constituer pour Daech une occasion de revenir en force en Syrie. La Turquie pourrait avoir mis en danger tout le combat de la coalition internationale et la possible victoire sur le fléau terroriste.
Par conséquent, depuis des siècles, les Kurdes se sont battus pour la défense de leur nation. Aujourd'hui, ils sont des acteurs indispensables dans la lutte contre l'EI et se positionnent en gardiens de la victoire en Syrie. Pour autant, cette gloire fait peur aux pays dans lesquels ils vivent, si bien que leur indépendance leur est toujours refusée. Les Kurdes apparaissent donc comme un peuple martyr, soumis aux contraintes géopolitiques du Moyen-Orient qui s'avère être la région clé des enjeux contemporains.
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