Des mots sur les maux

" Is he awake or asleep ? 
He can't tell He can't dream 
He can't feel He can't scream
He just stares at his screen it says 4 :18
And life’s just a thing
That he does " 
 scande Kae Tempest dans Pictures on a Screen.


Le fondement de la partition du rap met les mots sur les maux de la société, sur le rejet d’une certaine civilisation, le rap se voit peu à peu de moins en moins séparé du rythme poétique, de la littérature. 

Auteur-compositeur, talent d’écriture et d’interprétation, Kae Tempest acte en véritable lombric, laboureur des mots.  

Le rappeur est souvent représenté comme un artiste contextualisé, et non individualisé comme dans la poésie. Le rappeur en cela est étroitement lié aux problèmes sociaux. Le rap semble comparable à un procédé réactionnaire qui permettrait d’obtenir de l’intérieur d’une société des photographies d’une meilleure qualité. Ecouter un texte de Kae Tempest est en soi écouter une génération BoreOfItAll ou une Europe qui a perdu jusqu’au sens de son union. 

Traditionnellement identifié à l’art du quartier, le rap et sa pratique vocale (poser sa voix sur un beat) traduisent les ravages causés par l’absence de mots. Le problème du rappeur tient en ce qu’il s’adresse, à l’origine, aux masses populaires et pauvres -donc a priori sans 2nd degrés des mots-. Alors, c'est la dangerosité du rap que nous revendiquons.

Se fonde alors une scission dans le genre musical du rap, sur lequel nous projetons tout un caractère politique. En effet, nous pouvons prendre le même objet d’étude -ici, le rap- et changer la manière d’apprécier ce même genre musical. Nait d’ailleurs un rap plus discursif, plus artistique en comparaison au rap d’expressions des populations. Chacun bénéficiant d’une légitimité. Cette légitimation n’a cependant lieu que si des grilles de lecture classiques, celles appliquées à la littérature poétique, s’imposent au rap.

Il ne s’agit pas de faire de la forme rapée celle de l’unique témoignage de franges sociales : le rap n’est pas qu’un texte. Des personnalités contemporaines telle que Kate Tempest, en dissimulant une verve incendiaire, refondent une autre légitimité du rap. Des synthés métalliques aux notes glaciales, des glissements de bruits ou des battements de cœur à répétition, la durée du Beat sur laquelle Kate Tempest pose sa voix n’en finit plus. Un son en boucle tourne dans son titre Europe is Lost, exprimant ainsi la confusion dans laquelle nous pouvons nous trouver au monde. 




Le rap crée une langue poétisée, un système de sons et d’unités de sens. Toute lecture du rap est aussi affaire de vitesse. Le rap aurait trouvé la bonne. Il en existe une adaptée pour le rap qui saura fatale à celui qui n’en change pas en s’engageant dans un recueil de poésie. Souhaitant s’inscrire dans la généalogie du poète visionnaire, le véritable progrès dans la légitimation du rap serait néanmoins de ne plus avoir besoin de faire ces allers-retours, ces parallèles entre l’œuvre littéraire et le genre musical du rap. Il s’agirait de considérer d’emblée le rap comme une musique légitime.


Il s’agirait peut-être de fonder un St-Germain-d’Après, loin du St-Germain-des-Près littéraire que nous reconnaissons et patrimonialisons.



Lise Laroye

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